Dossier FAMILLE : Un an après, l'héritage ambivalent du mariage pour tous
LE MONDE | 22.04.2014 Par Gaëlle Dupont
Après un débat marathon qui restera dans l'histoire parlementaire, l'Assemblée nationale adoptait définitivement, le 23 avril 2013, la loi sur « l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe ». Un an après, les effets de ce vote et de l'affrontement qui a précédé se font encore sentir. La première conséquence coule de source : des couples se sont mariés.
Quelque
7 000 en 2013, selon le dernier pointage effectué en janvier par l'Insee. «
Ces unions n'ont pas concerné seulement les époux, mais aussi leurs amis, leurs
familles, qui se sont rassemblés autour d'eux, ajoute la sociologue Irène Théry.Cela a forcément eu un effet d'apaisement. » Contrairement aux craintes initiales,
ces mariages ont eu lieu sans incident. De rares maires ont renâclé, sans
succès. La normalisation de l'homosexualité, amorcée avant la loi, s'est
poursuivie.
Il
n'en est pas de même pour l'homoparentalité. Les associations ont recensé
quelques dizaines d'adoptions au sein de couples homosexuels. Mais plusieurs
procureurs s'y sont opposés, au motif que la filiation avec la mère biologique
avait été frauduleusement établie par le recours à une procréation médicalement
assistée (PMA) à l'étranger. Les associations de défense des
droits des homosexuels jugent d'ailleurs la loi incomplète. «
Il manque en particulier un moyen simplifié de reconnaître son enfant et des solutions pour les familles dont les parents sont séparés
», affirme Marjorie Monni, porte-parole de l'Inter-LGBT sur les questions de famille.
LA MANIF POUR TOUS, NOUVEL ACTEUR
L'autre
héritage majeur de la loi est l'apparition dans le débat public d'un nouvel
acteur, La Manif pour tous, qui outre la défense de la filiation «
père-mère-enfant », promeut une vision traditionaliste de la famille
(prééminence du mariage, prévention du divorce, complémentarité entre les
sexes…). Ce mouvement constitué autour de catholiques a réussi à rallier des
centaines de milliers de manifestants. Il a relayé une inquiétude plus vaste
encore.
Pour
Mme Théry, la pédagogie du gouvernement a longtemps été défaillante : «
Pendant de longs mois, jusqu'à la prise de parole de Christiane Taubira à
l'Assemblée en 2013, les questions posées par l'Eglise dès août 2012 sont restées
sans réponse. On n'en est toujours pas remis. »
Au
plus haut niveau, l'exécutif n'a défendu sa loi que du bout des lèvres. La
confusion sur l'opportunité de légiférer sur
la PMA, entretenue au sein du gouvernement et de la gauche, a ajouté à
l'inquiétude.
L'opposition
ne s'est pas éteinte avec l'adoption de la loi. La manifestation du 2 février
contre la « familiphobie » supposée du gouvernement témoigne
d'une influence persistante, d'autant que le discours de La Manif pour tous est
relayé par une partie de la droite. Au lendemain d'un défilé qui a rassemblé
100 000 personnes, le gouvernement annonçait un «
report » (en fait un
très probable abandon) de la loi sur la famille.
ADAPTATIONS MODESTES DU DROIT
L'objectif
était d'écarter définitivement
l'éventualité d'un amendement parlementaire sur la PMA. Mais toutes les autres
réformes envisagées – même prudentes – sont tombées à l'eau : droit de
l'adoption, statut du beau-parent, droits de l'enfant, accès aux origines… Les
propositions de lois parlementaires qui ont pris le relais, écrites dans
l'urgence, seront des adaptations plus modestes du droit. «
Les gens qui attendaient des réformes sont frustrés, mais la mobilisation de La
Manif pour tous n'est pas pour autant éteinte », commente
Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny, auteur
d'un rapport sur les droits de l'enfant que le gouvernement n'a pas utilisé.
Le
débat apparaît désormais bloqué. Face à un pouvoir tétanisé,
La Manif pour tous pousse les feux sur le terrain de l'école. Les rumeurs sur
l'enseignement de la « théorie du genre » fleurissent. On ne sait si les ABCD
de l'égalité, une sensibilisation à l'égalité entre les filles et garçons, qui devait être généralisée
à la rentrée 2014, y survivront. Le mouvement pèse aussi lors des élections.
Aux municipales, 2 300 candidats dont 690 têtes de liste ont signé sa charte.
Pour les européennes, un questionnaire sera adressé aux candidats (concernant
la famille, le couple, la liberté d'éducation…) et rendu public début mai.
Pour
beaucoup, le gouvernement s'est mis lui-même dans l'ornière. «
Il aurait fallu commencer par faire une loi sur l'autorité parentale et les droits des enfants »,estime M. Rosenczveig. L'anticipation a fait défaut, la réflexion préalable
aussi. « Les groupes mobilisés pour le principe d'égalité
ont eu raison d'agir, mais la seule égalité des droits ne suffit pas forcément à définir une ligne politique », affirme le sociologue François de Singly.
C'est
pourtant uniquement sur ce registre que la loi sur le mariage a été défendue.« La gauche n'arrive pas à avoir de discours articulé sur la famille, car elle y est souvent perçue comme le
fondement de l'inégalité », poursuit M. de Singly.
Quelle place donner au
mariage aujourd'hui, qu'est-ce qu'être parent
ou beau-parent, quelle place pour les parents séparés, comment préserver le
temps passé en famille, quelles ressources éducatives donner aux
adultes ?… Ces questions n'ont été abordées qu'à la marge et de façon morcelée.
Il est très peu probable que cela change avant la fin du quinquennat.